1. Le grand vide
A la mort de Leokadia, tout Erehwon fut livré aux affres du désespoir et du feu qu'ils mettaient tous seuls.
Armand et Atiya, laquelle en faisait des tonnes pour faire croire qu'elle n'était responsable de rien...
Ryszard, cela va de soi...
Et tous, comme un seul sim, pleuraient son départ...
... l'un une épouse exemplaire qui parlait de lui environ dix fois moins que de sa cousine...
... l'autre une mère modèle dont la dernière pensée avait été pour lui...
... l'une une sœur aînée de 7 ans qui l'avait laissé boire tout le lait de laganaphyllis pour justifier une telle distorsion temporelle...
... l'autre... ah non, elle, elle ne pleurait pas. Mais elle restait de longues heures à méditer, les yeux dans le vague, songeant avec horreur qu'elle risquait non seulement d'être la prochaine à partir, mais que ça pouvait lui tomber dessus avant qu'elle ait fini ses travaux et les dépôts de brevets à royalties correspondant.
Un autre s'était caché pour pleurer parce qu'il considérait que ça portait atteinte à sa virilité, mais il n'avait pas manqué de mentionner le décès de sa cousine préférée à toute détentrice d'un soutien-gorge qui aurait pu avoir envie de le consoler.
Mais surtout, sans Leokadia, il n'y avait plus un seul conteur dans la famille...
" - Leokadia était tellement créative.... Quand je pense qu'elle est partie sans avoir achevé un chef-d'œuvre. Personne ne pourra jamais la remplacer...
- Non, personne ne pourra jamais la remplacer..."
Et pendant qu'ils répétaient des répliques de la vie est un long fleuve tranquille, nul ne se désignait à la succession...
Certes, il y avait Guerlain, l'héritier qui s'était embarqué tout seul dans le cursus à rallonge de l'académie militaire. Oh, lui, bien sûr, il était prêt à essayer. Tout se tente au moins une fois, quand on est aspirant à l'amour.
Mais Guerlain, c'est quelqu'un d'homéopathique. De loin en loin, il est très avenant, d'ailleurs il ne cesse de ramener des gens à la maison. Mais à haute dose et au quotidien, on frôle l'étouffe-chrétien. Un chrétien d'obédience stricte, d'ailleurs, ne manquerait pas de s'étouffer.
Lundi
Aujourd'hui, j'ai fait crac-crac. Avec... euh... Clarence, oui c'est ça. Clarence Coste. Dans le jacuzzi, c'est là que je préfère.
Après, j'ai appelé les filles que j'ai rencontrées aux bazars de l'électronique, sous prétexte de promotion commerciale (les filles adorent croire faire des économies, c'est une théorie de Shal, même pas un truc macho à moi), pour me rapprocher d'elles jusqu'à ce qu'elles acceptent un rendez-vous pour faire crac-crac. Et après, j'ai rappelé celles avec qui j'ai déjà fait crac-crac, pour entretenir la flamme de nos sentiments. Ouais, j'suis comme ça. Je suis un romantique. Si on n'est pas trop regardante sur ma mémoire des prénoms.
Mardi
Aujourd'hui, j'ai fait crac-crac. Avec Célia. Dans le jacuzzi, c'est là que je préfère. J'crois qu'elle s'appelle comme ça. Fonsine, la grande dame qui raconte l'histoire de mon idole Zaniath dont je suis comme qui dirait le copy-cat masculin, elle l'appelle comme ça en tout cas, alors on va dire qu'elle s'appelle Célia, c'est joli en plus. C'était bien de faire crac-crac avec elle. Célia, si du moins c'est son nom, pas Fonsine ni Zaniath.
Elle est cool Célia : elle est barmaid, elle me fera des cocktails. Mais le point négatif, c'est qu'elle risque de me faire une crise de jalousie si elle me voit avec une autre fille.
Après, j'ai appelé des filles au hasard dans l'annuaire que le maire m'a refilé quand on est devenu un commerce notable, pour qu'on devienne proche jusqu'à ce qu'elles acceptent un rendez-vous pour faire crac-crac. Et après, j'ai rappelé celles avec qui j'ai déjà fait crac-crac, pour entretenir la flamme de nos sentiments. Ouais, j'suis comme ça. Toute une organisation. Au quotidien. Guelain Pilgrim, multinationale de l'amour, c'est moi.
Mercredi
Aujourd'hui, j'ai pas fait crac-crac. Un truc horrible. Je sais pas pourquoi. Dans la jeep, une panne. Mais pas de la jeep. L'angoisse. Et Brenda qui m'a assuré que c'était pas grave, que ça arrivait même aux meilleurs, qu'elle en parlerait pas à ses copines. Après ça, j'y suis encore moins arrivé.
C'est la mort de Leokadia, ça. Ca me perturbe, et moi, quand je suis perturbé, ben... bon, d'habitude je fais crac-crac. Mais là, j'y suis pas arrivé. Faut que je demande à Atiya ou Karima de me procurer du viagra. Karima plutôt, elle comprendra pas pourquoi. Alors qu'Atiya elle s'en servirait contre moi.
J'en ai parlé à Shal. Elle m'a dit que c'était sans doute la faute de Brenda, qu'elle n'avait pas su éveiller en moi les sentiments nécessaires. J'ai adoré cette hypothèse, du coup je l'ai adoptée. Elle est super fine, ma sœur.
Jeudi
Aujourd'hui, j'ai fait crac-crac. Deux fois. Pour me rattraper d'hier. Mais avec 2 filles différentes, pour rester raccord à mon rythme. Mais j'ai pas laissé assez d'espace-temps entre les deux. Du coup, Brenda m'a surpris. C'est dommage, elle m'avait ramené une statue chère qui avait fait vachement plaisir à Shal.
Vendredi
Aujourd'hui, j'ai fait crac-crac. Dans le jaccuzi, c'est là que je préfère. Pour me remettre de mes émotions d'hier. Ca m'a fait du bien, j'étais détendu après.
J'ai commencé un portrait de Shal. Elle est tellement belle, ma sœur. Bigster, il imagine même pas la chance qu'il a, ce gros naze. Mais cette andouille elle a fait qu'imiter les monomanes de la gachette pour me faire rigoler, et j'ai rigolé, du coup j'ai peur d'avoir raté mes esquisses.
Ils se sont encore sévèrement mis sur la tronche, ces sauvages. Même que Romuald, l'homme de ménage de la résidence, il a démissionné.
Du coup, j'ai dû m'employer à convaincre la kapo-chef qu'il fallait engager une nouvelle femme de ménage fissa. Je me suis porté volontaire pour mener les entretiens d'embauche. Toujours prêt à rendre service !
Samedi
J'ai engagé Kérine, c'était la mieux habillée pour venir à l'entretien. En plus, elle a remarqué l'odeur de mort qui traîne dans le couloir depuis que la meuf maraboutée a pris feu à la place de Shal. Du coup, peut-être qu'elle est compétente, aussi. Ca serait bien, ça ferait d'une pierre deux coups. J'm'en tirerais bien. Mouarf.
Mon bilan Bridget Jones de la semaine
Crac-cracs : 5
Crac-cracs dans le jaccuzzi, ceux que je préfère : 3
Gifles : Une bonne paire
Pris sur le fait : 1 fois, 1 première
Cadeaux récupérés pour faire plaisir à Shal : 5 gros bouquets de rose, un buste d'un gars à moustaches, un bonzaï, 2 tapis du souvenir, 1 chaîne-hifi.
Guerlain... Ses crac-cracs, ses crac-cracs dans le jaccuzzi, sa fixette œdipienne sur sa sœur qui explique les précédents comme même un étudiant en première année de deug de psycho pourrait le faire pendant sa première semaine de cours, même en ayant séché... Non seulement tout cela est assommant de répétitivité, mais cela se passe loin de la maison, maison d'ailleurs où il se passe n'importe quoi pendant ce temps...
Tout à leur deuil, ils ont tous oublié de payer les factures. Sauf Atiya, qui n'a aucune excuse, parce qu'elle ne paye jamais ses factures au prétexte que ça lui met le moral en berne.
C'est ainsi que l'huissier à la funeste figure, le moins qu'on puisse dire avec une tronche pareille, se présenta à leur porte en frétillant de l'aspirateur à saisie...
Et non content, quoique lui-même s'en réjouissait, de les saisir, il se dirigea d'un air sadique au premier étage, dans la salle de jeux qu'avait aménagée Leokadia pour leur ravir les souvenirs d'un temps meilleur.
De tous, c'était Armand qui avait le plus mal, et pas seulement à cause de sa jambe encastrée. En homme quasi-sage, toutefois, il eut le bon goût d'échapper à la folie complète qui aurait nécessité l'intervention d'un Thierry Maboul qu'on avait bien assez vu.
Même accomplir un des rêves de sa vie ne l'a pas contenté comme il l'aurait pensé, sans Leokadia pour moquer que c'était faire tout un plat d'une omelette.
Et puis Armand, Erehwon, il en avait ras la casquette. Passer des heures dans le jardin-dépotoir tant Atiya y avait amassé de bardam, à l'écouter lui rabattre les oreilles du diagnostic du problème de Sylvain sans même être fichue de se concentrer pour mettre de la logique dans son incohérence, il n'en pouvait plus.
Le problème de Sylvain, parlons-en... Le pauvre garçon avait eu quelques démêlés et explications musclées à la suite de l'affaire Mélanie Bersowitz dont il avait gagné le procès. Et dans cette explication, ses muscles n'avaient pas trouvé argument : il en était revenu le bras déboîté.
Heureusement, c'était le bras gauche, il pouvait toujours écrire. Mais il était bien ennuyé pour Elzbieta : un papa infirme, les on-dit disent que c'est un handicap pour l'enfant aussi.
On peut saluer son courage, il est loin de s'être comporté en bras cassé.
C'était moins facile, pourtant, de lui apprendre à marcher en ne pouvant lui prêter qu'une seule main forte.
Ni très commode de la chatouiller...
Mais il s'est dépensé sans compter, d'autant qu'avec un bras en moins, il était limité au chiffre 5.
Armand, donc, était resté malgré lui maugréant, pour décharger les autres d'une décharge électrique. Sylvain manchot, il fallait un homme à la maison, et Ryszard... c'était Ryszard.
Il ne manqua pas de s'offrir quelques petits plaisirs...
"Tu sais que je maîtrise toutes les compétences ? A ce tarif là, c'est peut-être moi qui devrait parler de chef de staff au conditionnel passé"
"Tiens, je te mate ! Tu répètes ça une seule fois, je fais don de ton corps à la science et j'te dissèque !"
Mais après l'opération de Sylvain qui se tenait désormais droit comme un piquet tant il était content et l'anniversaire de la petite Elzbieta, Armand se dit qu'on n'avait plus tant besoin de lui...
... ou alors c'était vraiment abuser de sa bonté. Non, il n'allait pas finir sa vie comme ça.
Il avait encore des choses à découvrir loin d'Erehwon. Et puis, Sylvain désinfirmé s'était empressé de le prouver à sa femme, et Salomeja attendait déjà un autre bébé. Il n'allait pas occuper une place de trop dans cette maison à attendre la Muerte en pyjama et empêcher ainsi le retour de Shalimar ou Guerlain. Place à la jeunesse ! Sage homme...
" - Ryszard, il faut qu'on parle !
- T'as vu P'pa, j'sais faire du crawl"
*Dire qu'on avait de grandes ambitions pour lui quand il est né...*
" - Ryszard, je vais partir. Tout ceci est pour toi.
- Oh un cadeau pour moi ! Mais c'est pas mon zannif' !
- Non, c'est parce que je vais partir.
- Tu reviens quand ?
- Si tout se passe bien, jamais.
- Ah d'accord ! Mais tu reviens quand alors ?
- Laisse tomber..."
*J'me sens mieux*
" - Au revoir Armand ! Tu vas nous manquer ! Reviens nous voir surtout !
- Comme vous dites, j'y manquerai, j'y manquerai !"
*Oh non mais... qu'est-ce que je vais aller faire à l'hôpital moi maintenant ? J'en ai rien à battre de la connaissance et de la culture, tout ça c'était juste pour séduire Armand !*
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