7. A quelque chose malheur est bon, dit-on.
Toute victime d'une comptine nocturne agaçante qu'elle était, Shalimar était d'humeur extatique, et elle ne cachait pas vraiment, et même vraiment pas, que c'était en raison d'un certain départ : à 7 à la maison, son frère coincé à la caserne allait enfin pouvoir rentrer chez lui dans les règles !
" - Alors... Etant donné les circonstances, j'attendais d'être certaine avant d'annoncer la nouvelle, mais je peux vous le dire : après ce grand malheur que nous avons connu, la famille va s'agrandir d'un membre !
- Oui, Guerlain va revenir !
- C'est-à-dire... je pensais pas vraiment à ce membre-là... C'est moi qui vais avoir un bébé... Le triomphe de la vie sur la mort, tout ça...
- Mais Guerlain ! Il est coincé dans l'armée de réservistes !
- Enfin Shalimar, je peux pas non plus tirer une croix sur ma vie ! Et puis tu connais Sylvain, il veut 3 petits diplômés, et on ne va pas sacrifier nos rêves familiaux à l'autel des délires du reste de la famille.
- Mais Maman à ton âge !!
- L'âge, l'âge ! Elzabieta, avec le traitement laganaphyllique qu'Atiya m'a offert après mon mariage, l'âge, de nos jours, ça veut plus dire grand chose. Et puis maintenant que vous êtes grandes, Kasha et toi, j'ai toujours envie de pouponner...
- Mais achète-toi les Sims 3, je sais pas moi, pas ça !"
Elzbieta connaissait une période adolescente difficile, et la perspective d'être la baby-sitteuse gratuite de ses parents éveillait en elle toute les rébellions de son âge...
... et quand Kasha était une petite fille modèle à faire pâlir de jalousie celles de la comtesse de Ségur, qui ravissait son père de ses résultats scolaires...
... Elzbieta jouait plutôt au péril jeune.
"J'en ai trop marre des cours ! J'me suis encore pris une taule et mon daron va me retourner la tête !"
Ce n'était qu'à demi exagération adolescente : Sylvain n'était vraiment pas commode quand il s'agissait de l'avenir académique de sa progéniture.
" - Elzbieta, file dans ta chambre faire tes devoirs !
- Mais P'pa, j'y suis dans ma chambre !
- Ne joue pas avec les mots et fais tes devoirs !"
Entre les exigences de son père qui la remettait toujours à sa place et le sentiment diffus d'occuper une place dans la maison, Elzbieta peinait à trouver la sienne.
"C'est comme si on avait tout décidé à ma place et que je ne pouvais pas vivre mon adolescence !"
L'argument fit mouche auprès de Shalimar qui n'en avait pas eu, manipulations atiyesques obligent, et elle cessa -un peu- de protester pour que son frère puisse revenir fissa.
Heureusement pour Elzbieta, dans cette famille, on trouvait toujours de quoi se rassurer.
" - Qu'est-ce tu fais Ryszard ?
- Je m'entraîne à opérer le lave-vaisselle pour quand je serai chirurgien !
- ..."
Ryszard, comme toujours, était parfaitement content de lui : étant le seul à comprendre Karima, il avait été promu infirmier pour la seconder.
"Et attention, hein, j'ai des responsabilités ! Quand l'ambulance arrive avec la sirène et tout, faut que je sois sur le qui-vive. Enfin, qui-vive, je sais pas pourquoi ils l'appellent comme ça, parce que c'est quand même souvent qu'y meurent à l'intérieur..."
Et Karima, après Armand, avait jeté son dévolu surréaliste sur son chef de service, Stanislas Marchal.
"Oh là là ! Stanislas m'a convoquée Ryszard, tu crois que c'est un signe ?"
Si Stanislas avait repéré Karima pour une chose, c'était son incompétence notoire. Mais l'homme était plus doué en médecine qu'en gestion des ressources humaines, en particulier face à une ressource telle que Karima. A la cafet' où elle avait failli vaciller quand il lui avait proposé de prendre un pot, il tournait autour de celui-ci.
" - Alors, Mlle Pilgrim, comment ça se passe ?
- Super !
- Vous êtes certaine ?
- Oh ben oui ! J'ai un super boulot, un super chef, tout roule !
- Et le boulot, précisément, vous ne rencontrez pas... heum... de difficultés ?
- Ben... des fois on peut pas soigner les gens, hein, mais c'est pas une difficulté, ça, les gens, c'est à croire qu'ils viennent à l'hôpital que quand ça va pas, après, faut pas s'étonner qu'on puisse rien faire !"
Elle l'invita à venir prendre le dessert à la maison, il accepta, n'ayant toujours pas réussi à lui dire qu'elle était virée. Bien sûr, Karima se méprit : elle faisait ça tous les jours.
"Je suis bien contente que vous ayiez enfin accepté de reconnaître que Cupidon jouait les violons pour nous !"
Un peu estomaqué, il alla faire un tour dans le jardin... Un peu imprudemment aussi, il s'isola dans ce qui semblait être une cabane à outils...
En rassemblant ses affaires pour son grand départ, Atiya n'avait pas oublié d'emporter la clef de sa cabane., laissant la porte ouverte à tous les ressorts comiques noirs. Et son laganaphyllis, un peu à l'étroit dans son immobilité végétale, ne manqua pas de lancer une running joke avec les collègues de Karima.
Et après Alexis Paire l'imprudent, il ne fit qu'une bouchée de Stanislas Marchal l'impuissant...
Karima eut un choc post-traumatique qu'elle eût été bien en peine de soigner.
Elle avait tort de s'en faire : avec le ménage laganaphyllique de ses collègues, dont Atiya n'aurait pas démenti la maternité, le manque de personnel hospitalier devenait cruel. Et dans le désordre général qu'avait entraînée la disparition inexpliquée du chef de service, Karima fut autorisée à prendre des consultations spécialisées en surnombre. Nul doute qu'elle les ferait disparaître rapidement...
"C'est pas génial Salomé ? C'est moi qui vais m'occuper du suivi de ta grossesse et de la naissance de ton bébé !"
" - Tu sais que je ne suis pas aussi à cheval sur les études que Sylvain, mais quand même, Karima, faire de la médecine spécialisée sans le bac, c'est un peu spécial, non ?
- Non, spécialisé.
- Mais quand même... Sylvain dit que c'est de l'exercice illégal de la médecine...
- Ben c'est lui l'avocat, si j'ai un pépin, il me défendra !"
Salomeja, trop gentille, ou trop dénuée d'instinct de survie, ne parvint pas à obtenir qu'un autre médecin, ou, en l'occurrence, un vrai médecin, s'occupe d'elle.
Le jour du terme, qu'elle redoutait être celui de sa vie, elle n'en menait pas bien large.
*embrasse-moi une dernière fois...*
"Sylvain, j'ai peur... J'approuvais rarement Atiya, mais tout de même, elle avait raison sur un point, être médecin sans avoir fait médecine, c'est pas possible..."
Sylvain avait toujours été d'accord, mais il tentait de rassurer Salomé.
" - Peut-être qu'elle a appris sur le tas...
- Enfin Sylvain... là, le tas, c'est moi !
- Excusez-moi d'interrompre inopinément votre conversation et vos prises de vue, mais ne vous dévalorisez pas Madame, la grossesse vous rend radieuse !"
" - Alors Salomé.... Ben Salomé, t'es où ?
- De l'autre côté Karima !
- C'est mal fichu ces salles d'accouchement, une chatte retrouverait pas ses petits après avoir mis bas ! Tu noteras la comparaison, hein, c'est une sacrée coïncidence !
- Et des plus rassurantes..."
"Alors... alors... comment ça marche ça déjà ?"
*Adieu Sylvain, je t'ai aimé, toi, nos deux enfants et ce petit que je ne connaîtrai pas...*
Fait rare : l'incompétence de Karima était surestimée. Assez peu, somme toute d'un calcul vite effectué, mais suffisamment pour laisser la vie à Salomeja et donner celle à son bébé.
"- Mais mon amour, qu'est-ce que tu fais, pourquoi tu laisses le bébé par terre?
- Si tu avais vécu ce que je viens de traverser Sylvain, tu ne poserais même pas la question !"
"Pffff ! Ca c'est pour tous ceux qui pensaient que Karima elle y arriverait pas !"
Ryszard, la classe.
<< Episode 6 : Atiya l'increvable | Episode 8 : Méfiez-vous de l'eau qui dort, elle peut être saumâtre >> |