28. Ca m'est tombé desssus comme une enclume rétrecissante...
Y a des jours comme ça... Je savais pas ce que j'avais, j'me sentais lasse de tout... Comme toute femme qui se respecte un tant soit peu, je me suis offert une cure de bonne humeur par le shopping et l'esthéticien, on a encore rien inventé de mieux depuis qu'on les a inventés.
Mais quand je me suis retrouvée cernée par un coiffeur en jogging dont les goûts ne pouvaient qu'être douteux et le gros Bigster que je peux plus voir en peinture ni en reflet dans le miroir pendant mon brushing, j'ai compris tout de suite que je faisais des frais gratuits pour rien.
Ca relevait même du traquenard, cette invitation à venir tester à l'œil menacé par les coups de ciseaux le nouveau centre de remise en forme.
Celui qui s'imagine que le métier de pique-assiette est de tout repos, il se rend pas compte qu'on mérite parfois une prime de risques pour les inaugurations.
J'ai arrangé le bazar comme je pouvais, c'était pour qu'Armand peigne ce portrait de moi pour notre anniversaire de mariage... 12 ans déjà ! Mon mari est merveilleux, il a attendu de maîtriser parfaitement ses techniques picturales pour faire ce portrait.
Mais il n'y a pas que la force de notre amour qui dure dans le temps qui a voulu se rappeler au bon souvenir de l'horloge...
" - Oh Maman t'as changé de coiffure !
- Pas du tout mon chéri, c'était déjà la coiffure de Maman il y a vingt-cinq ans, j'ai trouvé que ça me rajeunissait de revenir à ma coupe d'adolescente !
- Mais comment t'as fait pour les faire pousser ?
- J'ai mis de l'engrais !
- Ah c'est rigolo, j'vais essayer !
- Non !!! Ryszard, mon chéri, Maman faisait une blague, c'est des rajouts... N'essaye jamais, jamais, tout seul.
- Mais Maman, pourquoi t'as changé de tête aussi si tu voulais te faire rajeunir ?
- C'est le nœud du problème, mon petit, c'est le nœud du problème..."
"Armand... pourquoi le temps s'est mis en tête de me faire d'un coup passer à la caisse avec une note aussi salée ? Tu crois que c'est la vie qu'on mène ? Que j'y ai cramé ma jeunesse par tous les bouts à sortir tous les week-end ? Qu'à trop profiter des entrées gratuites j'ai pas vu qu'il fallait quand même payer ?"
"Ne dis pas n'importe quoi mon amour, tu es la plus belle entre toutes. Le temps qui glisse t'as peut-être ajouté quelques adorables plis aux coins des yeux, mais c'est la preuve que tu as ri et été heureuse, et qu'on le restera. Ca fait de toi une vraie femme, pas un mannequin en plastique figé dans une jeunesse de pantin..."
"Béh le mannequin en plastoc, au moins, il peut porter les vêtements que je me suis acheté ce matin ! Moi, 18 heures, pan, d'un seul coup le poids des années rappelle dangereusement tout aux lois de la gravité, et la petite robe rose s'obstine à se déchirer si j'essaie de fermer le zip"
"Cesse de t'en faire, mon joyau, tout cela n'est qu'apparence et frivolité..."
" - Et le boulot, Armand ? Tu crois pas qu'ils y comptent quand même, sur l'apparence et la frivolité des invités rémunérés à être là ?
- Tu te fais du souci pour rien, ma douce"
Dans son détachement aux vanités, mon mari oublie parfois qu'un bon mot, il est d'autant meilleur quand il sort d'une bouche agréable.
Sa sagesse n'était d'ailleurs pas partagée par le fantôme de ma sœur qui est restée médusée en me voyant.
Sans parler de ma cousine, étrangère à tout ce qui ressemble de près ou de loin à la sagesse et au détachement...
"-Oh mon Dieu, Leokadia ! Que c'est moche ce qui t'es arrivé ! Je suis... je suis tellement désolée pour toi... Ce me donne envie de pleurer de te voir comme ça !
- Merci Atiya, j'imagine...
- Ta robe rose ? Tu me la lègues ?
- Atiya, p***, je suis pas encore morte !"
La compassion d'Atiya s'arrête définitivement là où elle peut mettre une robe de créateur et finir son chef-d'oeuvre du jour...
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