16. Déménagements, remménagements, réaménagements

24 octobre 2007

16. Déménagements, remménagements, réaménagements

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Pour faire le grand saut dont j'ai envie quoiqu'il me terrifie autant qu'un triple axel dans le vide sans parachute, j'ai tenu à ce que mon frère soit là. Et puis, je voulais prendre Sophie par surprise, et même me surprendre un peu moi-même, alors il était là pour faire diversion aussi. Mais je crois qu'il se doutait quand même de quelque chose...

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... ou peut-être pas. Mon frère a changé depuis qu'il a fini sa collection de rendez-vous et de cartes roses parfumées aux coeurs, j'ai l'impression qu'il a de nouvelles idées en tête. A moins que ça ne soit QUE la reprise de notre vieille compétition. Dans ce cas-là, je le coiffe au poteau... du moins si j'arrive à me mettre à genoux autrement qu'à cause d'une gamelle. C'est terrible, je veux et je ne veux pas en même temps, je n'arrive pas à dépasser ma propre contradiction interne.

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C'est juste après avoir rendu mes patins de location que j'ai surmonté ma peur, je ne saurais d'ailleurs expliquer moi-même pourquoi. Ni une ni deux, je me suis jeté à l'eau, et même à ses pieds. Je sais bien que le cadre n'était pas le plus approprié, surtout avec l'abruti qui a cru bon de se mettre dans le champ avec le même anorak jaune, mais dès que j'avais voulu rajouter un peu de décorum, j'avais mes bouffées d'angoisse irrationnelles qui m'étaient remontées avec acidité et assiduité comme le soir où elle m'a offert la gazinière.

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Ca a été très émouvant, quand elle a dit oui et que j'ai passé à son doigt la bague de Maman. J'ai gravé ça dans ma mémoire : sur fond rouge, comme la passion qui me consume. C'est ça, d'être un éternel romantique.

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Sophie a accepté d'emménager à Erehwon, et on savoure chaque instant en épicuriens. Les noces ne sont pas prévues pour tout de suite, on n'est pas pressé ; il faut toujours savoir ménager son bonheur, c'est si fragile ce genre de choses.

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D'ailleurs, ça ne signifie pas ménager sa peine pour autant ! La preuve, on a changé de côté avant/après, et Sophie s'est toute décoiffée. Depuis Jeanne, ça m'avait manqué ces petits tourne-boulés sous la couette qui vous font voyager d'un bout à l'autre du matelas... Et avec Sophie, c'est encore mieux, puisque je l'aime d'amour et qu'on va se marier. Voilà, il suffit que je le répète jusqu'à ce que ça cesse de m'effrayer.

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J'avoue que j'ai beau essayer de me le répéter à tue-tête, l'angoisse ne désarme pas et ma tête se meurt...

Il faut me comprendre : ayant appris nos fiançailles par je ne sais quel canal, Hélène Ferrand a débarqué folle de rage, quoiqu'elle n'ait pas besoin de l'excuse rabique, avec la ferme intention d'arracher sa bague à Sophie. Elle a même essayé de l'encastrer dans le mur, tout ça en mon absence. Je n'ose même pas imaginer ce qu'elle lui ferait si on se mariait dans l'immédiat. Et non, contrairement à ce que pense mon frère, ce n'est pas un prétexte qui tombe à pic, je me passerais volontiers des raids de la cinglée droit sur ma dulcinée.

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Quand elle n'est pas aux prises avec mon passé trop encombrant, Sophie lit beaucoup, et peut-être même un peu trop... Elle a découvert les mémoires & le testament de mon père, ça lui a fait un choc, j'aurais préféré lui expliquer tous les détails moi-même. Elle a étonnamment bien pris lesdits "détails", d'ailleurs. Sophie est tellement merveilleuse, je l'aurais épousée tout de suite... s'il n'y avait pas eu ma peur de la bague au doigt et de la corde au cou pour me couper la respiration et l'élan une fois de plus. Peut-être qu'il faudrait vraiment que je consulte un psy, après tout.

Le pire, quand je ne suis pas bêtement taraudé par ma peur de l'engagement que je traîne comme un boulet de condamné, c'est que je me soucie vraiment qu'elle ne se plaise pas à Erewhon seule toute la journée. Il faut dire qu'on n'est pas prêt de mettre sous presse un supplément emploi à la Gazette, je suis bien placé pour le savoir, et d'après mes renseignements, les écoles locales, où Sophie rêve d'enseigner, affichent une équipe aussi désespérément complète que celle des Llamas qui n'a même pas besoin de mascotte.

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On verra si mon frère arrive à mieux. Pour lui, c'est fini de repousser l'entrée dans la vraie vie où la fête est finie : il a vu sonner le glas de son semestre de glandouille post-diplôme, dont il a occupé la fin à je-ne-sais-quoi maintenant qu'il ne poursuit plus obsessionnellement les premiers rendez-vous.

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On a fêté son départ comme il se devait par une virile danse de la victoire à-peu-près-synchronisée avec ses potes de la société secrète, et tant pis pour les snobeuses snobinardes des environs.

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Je suis tombé des nues quand mon frère m'a dit qu'au lieu de partir vers des horizons lointains et les plus éloignés possibles d'ici, il a finalement décidé de revenir vivre à Erehwon. Il faut vraiment que j'enquête pour découvrir ce qui, ou à mon avis qui tout court, le retient ici. Du moment que ce n'est pas Sophie, tout va bien.

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