7. La vie continue...
Grâce à mes contacts à la maison de retraite, on a réussi à convaincre l'increvable Cécile qu'elle serait mieux à refuser de mourir là bas - et nous, on serait bien mieux ici, débarassés d'elle.
Je n'ai même pas eu besoin de m'en faire à la perspective de la revoir en allant m'occuper du club de l'almanach : un p'tit vieux sympa avait été impressionné par ma patience pour expliquer mille fois de suite la différence entre clic, double-clic et clic droit, et il m'avait recommandé à son fils journaliste qui m'avait pistonné pour un super plan de critique de film pour un site cool sur le net.
Pour Karim, les choses se passaient moins bien. D'abord contente qu'il ait reboosté les ventes locales de Marcel Pignolo, la disquaire l'a promu accordeur de piano. Mais dès sa première semaine de boulot, il est tombé sur une pointure, le ténor Alfonso Prano, qui voulait un piano accordé en désaccordé en accord avec sa voix. Ce bazar, c'était tout sauf dans les cordes de mon frère, et, dépassé par les desiderata du ténor qui se prenait pour une diva, il a abandonné là la mission pour se voir renvoyé à la case départ de la vente de disques, mais sans toucher 20.000 §.
" - T'inquiète frangin, les échelons, ça se descend, mais ça se remonte aussi...
- Vas-y Elim, t'as passé trop de temps avec des ieuv à la maison de retraite, tu parles trop comme eux ! Si tu savais comment j'm'en carre, c'était trop un faux plan les pianos, ça se profilait sévère que j'allais m'retrouver qu'chez des richards, des mémés et des familles lourdingues qui veulent forcer leur gnome à prendre des cours. J'suis trop jouasse de retourner conseiller les daubes de la Pop Académie aux minettes du bahut, elles me trouvent toutes cool après... Franchement, si c'est pour me retrouver avec des responsabilités, autant pas progresser !
- Okay... Moi j'disais ça comme ça pour être sympa..."
Car j'avais bien d'autres chats à caresser...
A quelque chose tout malheur étant bon, je dois avouer que le changement d'attitude de Bénédicte à mon égard depuis que j'étais un pauvre orphelin (ou un ado émancipé qui vivait sans adulte dans une maison à fort potentiel festif ?) m'a beaucoup aidé à positiver et que j'ai su profiter...
... à sa très juste et exacte valeur de ce soutien inespéré.
Et alors qu'on ne l'espèrait plus non plus, un type a retrouvé Trublion et nous l'a ramené. Un sale type, d'ailleurs, qui voulait nous extorquer une récompense monnayable au lieu de se contenter de notre reconnaissance éternelle pour son geste citoyen.
Je ne sais pas ce qu'il lui avait fait, mais notre chien était devenu une vraie terreur ingérable, c'est tout juste si on pouvait encore l'approcher sans risquer de perdre un doigt ou plus précieux encore.
A la réflexion, notre indépendance anticipée nous avait quelque peu ensauvagisés aussi, et même si ça ne s'est pas exprimé d'une manière aussi bestiale -quoique-, la nouvelle personnalité de Trublion n'était pas la seule chose qu'on avait du mal à gérer...
Depuis que Maman n'était plus là pour me forcer à faire mes devoirs, j'avais oublié sans regret jusqu'à leur existence, et ça ne me valait pas vraiment l'admiration de mes professeurs.
Karim, lui, arrivait à retrouver de temps en temps le chemin tortueux du bureau, non qu'il prenne vraiment plaisir à la chose, mais il était chatouillé par l'idée de pouvoir aller glandouiller à la fac où il espèrait pouvoir "poursuivre" sa collection de rencontres et de rendez-vous qui n'avait toujours pas démarrée.
Il faut dire que si mon frère n'avait rien de mieux à faire, j'étais très occupé par ailleurs, entre mon obligation de passer mon temps au cinéma pour laquelle j'avais développé une grande conscience professionnelle et mon amour naissant pour Bénédicte. Je crois que j'ai vraiment aimé être amoureux d'elle.
J'ai dû me résoudre à expliquer à Lisa que tout était fini entre nous car mon coeur s'était envolé au-dessus d'une tête à la blondeur plus marquée encore.
Elle l'a étonnamment bien pris.
Fiiiiiioushhhh !
"Ich liebe dich aussi, Elim"
" -Euh... Lisa... je voudrais juste vérifier un truc : tu ressembles à une grosse gargouille
- Ach, danke schön, danke schön, ich liebe tes belles paroles, du bist ein gargouille auchi, mein Elim"
Wooosh !
Techniquement, j'avais été réglo quand même, je ne pouvais pas vraiment me faire de reproche...
Extrait du journal de Karim
J'y crois pas ! Elim il a largué sa teutonne et il se tape Bénédicte la méga bombasse accessible à lui ! Sérieux, j'ai réfléchi et retourné le problème dans tous les sens de son incompréhensibilité, ça doit être les cheveux courts. Parce que sinon, l'uniforme, j'ai le même ; quand je le tombe, ch'uis pas en bermuda bor***, et j'ai quand même pas son gros air de niais collé sur la tronche.
L'autre jour, à l'animalerie où je me suis coltiné d'acheter des colliers pour les clebs fugueurs d'Elim, la caissière que j'essayais d'aborder m'a demandé si c'était moi au sommet de la pyramide des pom-pom girls à l'école... Tant pis, c'est décidé, je sacrifie mes cheveux. J'suis trop deg, je les ai jamais coupés depuis... jamais en fait, c'est horrible, j'ai l'impression que je vais me faire amputer.
Et ben voilà, c'était grillé, la coiffeuse m'a complètement raté, je suis obligé de mettre un bonnet. Et comme aucune meuf a encore accepté de sortir avec moi, j'en suis réduit à traîner ma misère au bowling avec Rudy Royer, qu'est à peu près du même niveau que moi dans le genre prédateur bredouille...
"Hallo, Karim !"
Super, la teutonne... Hé mais j'suis débile, moi ! Super, la teutonne !
" - T'sais, Lisa, j'voulais dire que mon frère il a grave pas assuré de te larguer pour Bénédicte, moi j'serais resté avec toi, et d'ailleurs...
- Was ? Bénédicte ?
- Ouais... j'veux dire... la vache comment on dit ça en teuton... Elim liebt Bénédicte aber ich, Karim, liebe dich Lisa vachement plus.
- Waaaas ??? Elim liebt Bénédicte ???"
Mortel, le batard il lui avait pas dit en fait ! C'est bien son genre, ça, de se l'être gardée sous le coude prête à être levée comme une bonne chope de bière blonde... Ouarf ouarf, ch'uis trop con ! Mais comment il abuse trop à mon avantage là !
" - Ouais, mein Bruder gros salaud, er ist mit Bénédicte ! Gros palots il lui roule !
- Achloch !"
Je sais pas ce que ça veut dire, mais vu comment on dirait qu'elle se racle la gorge, j'crois qu'il s'est bien fait canarder.
Trop facile en fait !!!!
"Ouais, allo Béné ? C'est Karim ! Ecoute, j'aime beaucoup mon frère, mais j'pense qu'il est de mon devoir de soulager ma conscience et de te prévenir qu'il joue double jeu avec toi, et je te respecte trop pour ne pas te dire qu'il est toujours avec Lisa. Je sais que c'est très dur et que tu vas avoir besoin d'accuser le coup, mais si tu as besoin de parler, j'suis là et on peut se retrouver... Au bowling d'Elvis, OK, à tout de suite !"
" - Merci Karim, ça m'a fait vraiment du bien de parler pendant ces 3 heures et demi, tu es un véritable ami.
- Ben de rien, Béné, moi aussi ça m'a fait plaisir de t'écouter sans rien dire pendant... ah ouais, 3 heures et demi... quand même, hein, t'avais vraiment besoin de parler sans t'arrêter. C'est... euh... fait pour ça, les amis. Trinquons à l'amitié, hein, ça doit donner soif de jamais reprendre son souffle comme ça"
" - J'ai fait une vraie erreur de sortir avec ton frère, il ne me plaisait même pas au début, mais tu comprends, il m'a tellement touchée quand il a perdu sa mère... Je sais que toi aussi tu as perdu ta maman, puisque vous êtes frères...
- Tu es très perspicace, Bénédicte...
- Hihihi, merci... je t'ai tellement mal jugé..."
" J'te pardonne, Béné. Et puis tu sais, ma mère, qui me manque énormément, disait toujours qu'il n'est jamais trop tard pour réparer ses erreurs dans la vie".
Comment j'adore ça, moi, réparer des erreurs dans la vie !
" Elim !! Oh ! Eliiiiim ! Viens téma un truc !"
" Ca va pas de beugler comme ça, qu'est-ce qui y'a Karim ?"
" - Tu sais quoi ? J'ai appris tous ses ordres à Pégase et il est en train de devenir une vraie star aussi, il a été choisi pour jouer dans un téléfim génial avec...
- Franchement, j'm'en bats les reins de ton histoire de clebs..."
" ... T'sais quoi, moi, aujourd'hui, j'étais en ville, et j'ai eu mes deux premiers premiers rencarts ! Tiens, salut M'man, t'as entendu ?"
J'ai jamais vraiment eu peur des fantômes, j'en vois depuis qu'j'suis petit. Et puis le fantôme de Maman, il fait vraiment pas peur, elle continue juste à nous surveiller sans rien dire, c'est presque réconfortant de l'avoir tout le temps qui espionne comme avant.
"Et tu sais quoi ? J't'ai ramené un pur cadeau, tiens !"
" - Pour moi, Karim ? T'as eu le temps de penser à moi ? T'es trop cool !
- J'ai fait qu'ça, d'penser à toi, frangin... Sérieux, M'man, arrête de me regarder comme ça, c'est pas comme si j'avais buté quelqu'un."
" J'ai même tellement pensé à toi que j'ai pas oublié de prendre des photos avec les p'tites meufs que j'ai sorties, pour que ça te fasse exactement comme si t'avais été là. Retourne-toi mon gars, j'ai mis mon tableau de chasse au mur !"
La tête de bouffon qu'il a tiré, le frangin ! C'était trop bon !
"Waaaahaaaah ! J't'ai piqué tes deux meufs d'un coup ! Qui c'est le vieux galérien maintenant ? Franchement, je savoure trop !!!"
"Ouais, c'est ça, viens me prendre, essaie. Moi aussi j'ai droit à la prime des muscles accélérés, maintenant, tu me touches, t'es encore plus mort par terre, j'te préviens !"
"T'es un vieux looser qu'a plus de meuf ! C'est moi qui me suis tapé Béné !"
Trop jouissif, le défilé des ex de mon frère pour m'apporter des roses rouges le lendemain ! Y en a pas une pour sauver l'autre par contre, elles ont pas réussi à s'étonner de se croiser.
NDLA : Grrrrr.... stupides, stupides simettes automatisées ! J'étais de votre côté pourtant !
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