5. Faire son trou vaut mieux que creuser sa tombe
Le temps passe et je commence à me faire aux coutumes des autochtones, et réciproquement. J’ai mis en place un petit spectacle d’art de la rue qui fait fureur dans le coin, je me fais plus de pourboires qu’au drive-in et ça arrondit les fins de mois difficiles.
Hein ? Quoi, je fais la manche ? Si vous voulez tout voir en noir, c'est votre affaire... Moi, j'ai pas le loisir d'être pessimiste.
Faut bien
que je reconnaisse que, professionnellement, je stagne en eaux troubles. Quand
je rentre du boulot, je suis tellement épuisé que je m’écroule généralement
dans mon fauteuil sans même prendre le temps d’enlever mon tablier.
Et encore…
quand c’est dans le fauteuil que j’arrive à m’écrouler, c’est que c’est plutôt
un bon jour, si vous voyez ce que je veux dire…
Résultat,
je suis crevé quand je pars bosser, et je suis encore plus mort en revenant… Et
entre les deux, je suis loin d’être au mieux de ma forme. Il m’est arrivé une
sale mésaventure avec Mimi Rapat-Sité. Vous connaissez pas ? On voit que
vous êtes pas du coin ! Les Rapat-Sité, c’est une famille hyper riche des
environs. Des profiteurs de guerre, si vous voulez mon avis qu’on me demande
pas, mais passons… Bref, la sale gosse, elle s’est pointée avec ses potes
m’as-tu-vu au drive-in, et ils ont commandé une tonne de trucs à bouffer. Vous
imaginez, forcément, je les ai servis. Je pensais même bien faire, à être aux
petits oignons avec les gosses de notables. Je vous raconte pas ma tronche
quand, en faisant ma caisse, je me suis rendu compte que je m’étais fait
refiler des faux biftons. Magalie Perez m’a expliqué après coup qu’on murmure
dans le coin que les Rapat-Sité, ils ont leurs coffres pleins de faux simoléons
qu’ils fabriquent avec une machine à faux biftons, même que ça serait la base
et de leur fortune, et de l’inflation qui ravage l’économie et qui fait que
c’est si dur de trouver du boulot. Forcément, moi, tout ça, je pouvais pas le
deviner si on me mettait pas au parfum… Mais le manager, lui, il l’a pas
entendu de cette oreille. J’ai dû tout payer de ma poche et offrir le gueuleton
de ces sales gosses de riche. Et moi, pendant ce temps, j’ai rien de rien dans
mon terrain vide de vide.
Le problème, c’est que du coup j’ai pas les moyens de m’acheter le chevalet qui me permettrait de booster ma créativité pour espérer progresser, et que je stagne à faire ce taf mal payé pour lequel je ne suis manifestement pas fait, et où je me tape des retenues de salaire bien corsées… Le serpent qui se mord la queue…
Ajoutez à
ça les factures, les rappels de facture et les rappels de rappels qui
s’accumulent… A part les contempler en me disant que je peux pas les payer, je
peux malheureusement pas faire grand-chose. Je me demande combien de temps
Cheapo Discount va continuer à m’harceler, alors que j’ai cessé de jouer à
l’andouille avec leurs conditions de ventes – 78§, pour quelqu’un qui possède
en tout et pour tout deux parpaings, un fauteuil en guise de lit, une douche et
un WC, faut pas pousser mémé dans les orties ! Et me parlez pas de la
facture d’électricité alors que j’ai pas de lampes!
Ah lui, là, c’est Abdel. C’est mon pote.
C’est un
vétéran aussi, et on s’est découvert pleins de points communs, ça a tout de
suite collé.
Ca fait du
bien, quand même, de savoir qu’on est pas le seul à se retrouver seul avec deux
parpaings à se prendre la flotte sur la tronche en dormant à la belle étoile.
Et puis de
pas être le seul ici à être plongé dans la misère affective la plus totale…
Enfin, faut que j'arrête de me plaindre tout le temps. A force d'économiser simoléon par simoléon, j'ai enfin pu me payer un lit, un vrai. Le bon côté de la misère, s'il y en a un (ce dont je doute quand même un peu, mais en ce moment je positive), c'est qu'un achat complètement banal en apparence prend tout de suite des airs de cadeau de luxe. Ca, et qu'elle est moins pénible au soleil, même si je ne dirais pas non à un toît.
Et niveau
nana aussi, j’ai quelques espoirs de voir le bout de ma traversée du désert.
Elle, c’est Christine. Hyper entreprenante, elle m’a directement parlé de nos
lèvres brûlantes sur le sable chaud. Enfin un truc dans le style, j'avoue qu'elle m'a un peu pris au dépourvu, j'émergeais à peine un matin, encore en caleçon. C'est peut-être ça d'ailleurs qui l'a mise dans un tel état.
Pour tout
vous dire, son enthousiasme débordant pour ma personne m’aurait presque fait un
peu peur. M’enfin, je ne suis qu’un homme perdu au milieu du désert, j’allais
quand même pas rater l'occasion qui fait le larron, ni lui avouer que la
réciproque n’était pas forcément vraie. Sans compter que j’avais bien envie,
moi, d’inviter une nana en rencart. Alors une qu'est pas regardante sur
les conditions dudit rencart, vous pensez.
Notez, il a pas duré longtemps, le rendez-vous: c’était l’heure de partir au boulot, et j’ai dû planter Christine. Ca, je pense quand même que ça l’a refroidie.
De retour dans mes pénates, je me suis donc retrouvé tout seul une fois de plus, avec comme comité d’accueil un coyote pique-assiette professionnel occupé à se servir dans la gamelle de mon Ghédon penaud, qui avait pour seule consolation de constater qu’il n’est pas seul à sentir le fauve. Et de magnifiques mauvaises herbes pour faire plaisir à la mère Moreau…
Avouez que ça a quand même de quoi coller un bourdon du tonnerre, un campement pareil en guise de home sweet home. Sans compter que si toute la gente canine et lupine des environs continue à prendre la gamelle d’Armaghédon pour un self-service, je vais y laisser toutes les maigres économies que j’essaie de faire pour pouvoir acheter des parpaings qui me permettraient au moins de faire une cabane fermée.
Le coyote chassé, je savais vraiment pas quoi faire. Alors j'ai fait un avion avec le journal, et j'ai fait une reconstitution de la bataille aéro-soucoupe-volantesque de la bataille de Simograd. J'y suis pas vraiment arrivé, et puis je me suis rendu compte que j'avais pas fait les mots croisés ni regardé la météo avant de faire mon avion, alors je me suis senti bien bête, et j'ai préféré me coucher.
Mais alors figurez-vous que vers 1 heure du matin, j'ai été tiré de mon sommeil par une galante visite surprise. Ou une surprenante visite galante, j'avais pas encore bien décidé à ce moment-là. C'etait Christine qui revenait à la charge : elle peut plus se passer de moi. Moi, un peu pris de cours et, encore une fois, pas franchement dans une situation qui permet de cracher sur la seule nana qui s'intéresse à moi, je lui ai proposé de rester.
Comme on avait tous les deux très envie de danser, j’ai encore « emprunté » le lecteur de K7 de Cheapo Discount. Toujours pas les moyens de le garder...
Elle a pas arrêté de me dire que c'était top et qu'elle avait trop hâte de me revoir en partant, ce qui, quand on voit mes moyens (matériels, hein, pas physiques), relève de l'exploit. Ou alors, il lui faut vraiment pas grand-chose, mais je préfère me dire que c'est moi qui assure. La classe, c'est qu'en plus le rendez-vous s'est déroulé en tout bien tout honneur, puisqu'au fond elle ne me plait pas du tout.
C’est une brave fille, notez. Elle s’est pas offusquée que
je lui demande de "m'aider" à nettoyer mon campement et elle
l’a fait avec le sourire. Bon, le seul truc à nettoyer, c’était mon avion de la
reconstitution de la bataille de Simograd. C’est dommage, parce qu’au fond
c’était ma seule source de distraction. Il va falloir que je me penche sur les
contradictions de mes désirs et de mes craintes… Actuellement, par exemple, je crains que
Ghédon s’enfuie de la baignoire. Au fond, c’est absurde, puisque je ne peux pas
me payer de baignoire.
J'ai un peu peur quand même qu'on se soit quitté sur un malentendu... Elle m’a un peu pris au débotté en me faisant un bisou pour me souhaiter bonne nuit, ou ce qu'il en restait. Oh, juste un petit bisou innocent que j'ai accepté avec plaisir, entre ma fierté d'avoir réussi ce rencart malgré ma misère totale et mon état avancé de détresse affective, moi qui n'ai que Ghédon à qui faire des câlins, c'est vous dire. Ben... à la réflexion, j'ai peur qu'elle y ait vu plus, vu comment elle s'est tortillée dans tous les sens comme si elle allait s'évanouir. Ca m'embêterait bien, quand même, parce que, de mon côté, je préfèrerais qu'on soit simplement amis, pour le dire gentiment.
Mes soupçons se sont confirmés le lendemain quand j'ai trouvé une rose avec un petit mot tout enflammé d'amour qui n'est pas réciproque. En fait, je dois dire que maintenant, Christine et son enthousiasme me font carrément peur : sa lettre d'amour, c'était à la limite de la demande en mariage, avec suppliques que je la rappelle et tout et tout. Bon, au moins, j'ai pu revendre le soliflore pour 15§, c'est toujours ça de pris. Non, je ne suis ni un salaud, ni un gigolo en puissance ! Je suis juste pauvre et pas amoureux, c'est pas pareil. Et puis quoi ? C'est pas parce que je suis moi-même désespéré du câlin que je vais profiter de la première désespérée venue. C'est dingue ça! Faut toujours que j'ai l'air d'avoir le mauvais rôle ! J'agis en gentleman au fond !
Pour couronner le tout, j'ai trouvé la poubelle renversée. Ca, c'est un coup de Zoé la folle, qui est toujours coincée en mode furie depuis que j'ai dit du mal de son pote Franz Callus et qu'on en est venu au poussage de doigts. Elle est vraiment marteau, celle-là.
Enfin je vais pas me laisser gâcher la vie par cette frappadingue, d'autant moins que j'ai enfin eu assez d'argent pour "emprunter" un chevalet chez Cheapo Discount. Malheureusement pour moi, je me suis assez mal débrouillé: j'ai pris plus de temps que prévu pour faire mon dessin (j'me suis appliqué, aussi), du coup ils m'ont compté une décote sur le chevalet quand je l'ai rapporté, et, de toute évidence, mon talent n'est pas reconnu : j'ai pu tirer 4 malheureux simoléons seulement de ma jolie peinture. C'est même pas le prix de la toile et des couleurs !
Bon, la bonne nouvelle, c'est que j'ai quand même bien boosté ma créativité, et peux donc espérer une promotion.
La deuxième bonne nouvelle, c'est que j'ai entendu dire qu'il y aurait peut-être bien un supplément emploi dans l'édition de demain de la Gazette de New Frontier.
Et la troisième bonne nouvelle (après c'est fini, j'en ai plus), c'est que j'ai eu assez de sous pour me payer trois parpaings de plus. Ils sont à moi, c'est définitif ! J'ai une moitié de chambre ! Wouhou !
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